De l'autre côté de l'écran... [Privé Takuro Asai]

Pour avoir une connexion stable ( et gratuite ... enfin, comprise dans le prix de l'internat, plutôt ) il n'y a rien de tel que la salle multimédia ! Malheureusement, tout le monde sait ça et, s'il y a bien quelque chose qui m'a toujours dérangé encore plus que de me mêler à la foule, c'est qu'on regarde mon écran par dessus mon épaule quand je suis entrain de surfer sur internet. C'est bien simple, tant que je suis là, si cet endroit se rempli de monde, moi je deviens parano'. Du coup, à chaque fois que je passe la porte de cette salle, c'est plein d'appréhension.

Aujourd'hui, j'étais plutôt soulagé en y mettant les pieds parce qu'il n'y avait littéralement personne ... Ce qui ne m'a pas empêché de m'installer dans un coin un peu reculé de la pièce. Personne parmi les étudiants qui pourraient entrer  après moi ( et il y en aura forcément ) ne voudrait avoir à s'installer près de quelqu'un comme moi !  Mais on n'est jamais trop prudent. Dans mon coin, je me sens comme si j'allais me fondre dans le mur, en d'autres termes : Discret. Avec l'impression d'avoir fais une bonne action juste de par le fait de ne pas m'être imposé en plein milieu de la pièce, j'ai allumé un ordinateur et me suis connecté au compte étudiant qu'on m'avais attribué en début d'année. Pas pour faire mes devoirs, cependant.

J'ai branché mes écouteurs directement à la machine et tapé l'adresse d'un célèbre site de vidéo dans le navigateur internet. Playlist musicale lancée et ouvrant un autre onglet, je me suis ensuite " dirigé " sur un forum. Un forum RPG, pour être plus précis ! Et pas n'importe lequel, le mien, comme j'aime dire, car j'y suis modérateur et designer à l'occasion. C'est fou ce que j'aime ces machins là - les RPG écrits, je veux dire - et pourtant, je n'ai pas de talent particulier pour l'écriture. Comparé à ce que certains arrivent à raconter comme histoires avec un simple clavier et un peu d'imagination, mon cas est désespérant ! Mais comme cette occupation est un bon prétexte pour ne pas avoir à faire attention à ce qu'il se passe ce qu'il se passe dehors, dans la vie réelle, j'essaye quand même. Je peux alors passer des heures devant un texte à me demander s'il est au moins assez bien que pour être posté.
Hier, par exemple, enfermé dans mon dortoir, je suis resté une éternité devant mon logiciel de traitement de texte pour répondre à une certaine Luna, autre membre de ce forum-ci. J'aime bien ce personnage, mais je dois dire que la marionnettiste qui fait marcher celui-ci m'inspire encore plus de sympathie. Je me suis connecté sur la ChatBox sans trop d'arrières pensée, plus par réflexe qu'autres choses : personne - je me suis dis que, vu l'heure, certaines de ces cybers connaissances devaient encore être en cours ou quelque chose dans ce genre  - jusqu'à ce que la dite Luna se connecte à son tour. Le hasard fait bien les choses.
Elle est alors la première à m'adresser la parole pour me saluer, me demander comment ça va, bref, le début de discussion classique. Enfin. Je crois ?

« Salut ! Ça va bien, et toi ? J'allais justement répondre à notre RP. »

La vitesse à laquelle mes doigts dansent sans accro sur les touches lettrées me donne l'impression d'être un pianiste en plein concert. Ça me laisse une sensation agréable même lorsqu'ils quittent le clavier et viennent frotter la poche de mon pantalon en jeans.
... Oups.

Il n'y a plus rien dedans. J'ai comme un flash-back : je me revois enregistrer mes écrits sur ma clef USB, puis un peu plus tard, quittant mon dortoir en laissant derrière moi celle-ci. Idiot.

Durant une fraction de seconde, c'est tout un débat qui s'anime dans mon cerveau, dois-je réécrire ce foutu texte à l'instinct, ou au moins avec, pour bases, les souvenirs de ce que j'ai imaginé la veille ? Accepter d'avoir travaillé et corrigé un texte pour rien ? Tout ça pour ne pas avoir à me déplacer, fainéant que je suis ? Vraiment ?

« Euuuh. Attends un instant, je reviens. »

Bah, non, évidemment.

Aller, Takuro ! Ou plutôt Allen, car en l’occurrence, tel est le nom de mon personnage ( contexte Européanisé oblige ). Faire le trajet jusqu'à ta chambre, c'est pas la mort. Et puis, tu n'as pas envie de décevoir Luna, pas vrai ? Juste ... Dépêche toi.

Bon, je met en veille l'ordinateur, reprends mes écouteurs, les enfoncent dans ma poche et me lève dans un bruit horrible de chaise qui griffe le sol. Une fois n'est pas coutume, je regarde autour de moi et constate que je n'avais pas remarqué la présence d'une fille que je connais de vue, car elle est aussi en arts visuels. Elle a l'air d'être calme, ça ne m'étonne pas tellement que, avec de la musique dans les oreilles, je ne l'ai pas entendu s'installer tout à l'heure. Cependant, le design du site qu'elle est entrain de consulter m'interpelle.

« ... ? »

Parce que, je reconnais les couleurs, les formes qui embellissent l'écran, aucun doutes là dessus : je les ai moi-même mis en page. Mais, alors, elle aussi, elle est membre de ... ?
 
Le plus discrètement possible mais presque machinalement, je retourne allumer l'ordinateur devant lequel je m'étais assis plus tôt. Mes talons tapent d'impatience sur les pieds de ma chaise tout le temps que la machine prend à redémarrer. Je ne peux m'empêcher d'avoir une pensée pour les vieux ordinateurs du collège ( pour mon plus grand bonheur, le matériel de Yorokobi est plutôt performant et la mise en route ne dure pas une demis-heure comme c'était le cas pour ceux-là ). J'en oublie ma clef USB mais je veux absolument voir qui est connecté au forum en ce moment.

De nouveau connecté sous le pseudo d'Allen ( et son avatar de bishonen aux cheveux noirs qui ne me ressemble pas du tout ), je regarde la liste des membres connectés qui s'avère ne pas être très longues. Par contre, il y a beaucoup d'invité en ligne ! Peut-être est-elle parmi eux ? Est-ce qu'elle est vraiment inscrite ? Ca ne serait pas vraiment discret si j'allais de nouveau vérifier sur son écran mais je me suis peut-être fait des idées, elle est peut-être juste de passage ?

« Il vient de m'arriver un truc très bizarre. »

C'est ce que j'ai dis en retournant sur la ChatBox. Je me sens un peu bête mais surtout perturbé. En même temps, m'imaginer que l'une de ces personnes que je côtoie quasiment quotidiennement sur internet fréquente le même pensionnat que moi, ça, oui, on peut dire que c'est inattendu.

La réponse fut quasiment instantané.

J'étais entrain d'expliquer que j'ai vu quelqu'un regarder la page d'accueil du forum juste à côté de moi, j'en suis presque sûr. Mais c'est avant d'envoyer ce message que je vois sa réponse.

Et bien, oui, Luna, quelle concordance ! Tu imagines ? Je pourrais être juste à côté de toi en ce moment même. Hahaha. Non, c'est trop gros, ça ne tiens pas la route, pas vrai ?  Alors pourquoi j'ai l'impression que ce qu'elle vient de dire et qui devrait me paraître anodin colle totalement avec la situation ?! Dans le doute, la crainte monte : et si c'était vraiment elle ? Elle m'aurait grillé ? Non parce que, c'est bizarre quand même, qu'elle me dise ça juste maintenant. Il y a des caméras planquées dans le coin ou quelque chose comme ça ? Il a fallu que ce soit ( peut-être ? ) elle, en plus. Je ne veux pas m'avancer et affirmer que c'est réciproque en la qualifiant d'amie mais si ce n'est pas la personne avec laquelle je m'entends le mieux de toute la communauté qui compose ce RPG, je ne vois pas qui tient cette place. Ce n'est pas pour être pessimiste, mais si elle devait me rencontrer en vrai, j'ai l'impression que je pourrais dire adieu à cette entente. Ça serait normal. Quoi que inévitable, de toute façon.
Mais, alors, quoi, par la mère de toute les coïncidence, c'est vraiment elle ou pas ? Et, plus grand question encore, si c'est vraiment elle, je fais quoi ?

Je n'ai pas encore jeté un seul regard sur le côté, de toute façon, ce n'est pas comme si je pouvais la reconnaître au premier coup d'oeil, pas vrai ? Et c'est réciproque, normalement, comme aucun de nous deux n'a déjà vu l'autre en vrai ou, même, n'a posté de photo dans le trombinoscope. Comme je n'ai plus mes écouteurs, j'en profite cependant pour tendre l'oreille tout en essayant de taper tout doucement sur le clavier pour faire moi-même le moins de bruit possible et donc, je l'espère, ne pas être détecté. Oui, parce que je n'ai aucune idée de ce que je dois faire. Pas lui dire cache que c'est moi, en tout cas ... Que ça pourrait être moi, pardon. C'est vrai que je conclus encore trop vite.  Si les échos du clavier de l'autre fille corresponde à l'apparition des réponses de Luna sur la ChatBox, je pourrais vraiment commencer à me faire du soucis. Ou de nouveau mettre ça sur le dos du hasard. Hum. Mouais. Il me faudrait une autre idée pour vérifier discrètement l'identité de la fille d'à côté, en faite. De tout manière, elle est connectée sur le forum et si ce n'est pas en tant que ma chère camarade de chat, c'est au moins en tant qu'invité qui pourrait potentiellement se connecter sous un autre pseudonyme à tout moment. Comment ça, je pourrais simplement aller lui poser la question ? Et puis quoi, encore ?

Je note l'ironie de la situation : un idiot tel que moi ne peut même pas résoudre un mystère aussi simple sur un forum dont le contexte laisse la part belle aux enquêtes. Je suis indigne de mes aventures virtuels au point que mon personnage est devenu plus adroit que moi, on le dirait bien.

Je passe ma main dans ma tignasse emmêlée et me masse le cuire chevelu, ne sachant pas quoi faire de mes mains ( pour avoir l'air naturel, c'est raté ) et prends soudainement conscience de tout ce que je n'aime pas dans mon physique, pas que ce soit ce qui me préoccupe le plus, d'habitude. Avec tout ça, je ne me rend même pas compte que le temps s'écoule et que le blanc qui s'installe dans la conversation virtuel commence à devenir suspect. Bon. Je respire un grand coup. Je le dis, je ne le dis pas ? C'est le moment, c'est l'instant !

« Je ne sais plus si je te l'ai déjà dis à toi, mais je suis en pensionnat cette année.  »

Et ... ? Je ne peux plus retourner en arrière, je dois raconter la chute de cette histoire, mais au moins, avec une telle introduction, je gagne du temps pour formuler la suite. J'attendrais bien une réaction de sa part, un « Non, je ne pense pas que tu me l'avais dis ! » ou un « Ah, moi aussi, tiens ! ». Je ne peux pas m'empêcher de soupirer. Finalement, peut-être que j'aurais juste dû changer de sujet ?

| Arf, j'avais dis que je répondrais hier soir ... Désolé pour le retard. ^^'
En plus je te fais une réponse un peu nulle qui ne résout pas grand chose. //PAN// |

Il ne répondait pas.

What the heck ? Je sens le peu de couleur qu'il reste sur mon visage me quitté lentement. Elle doit être entrain de ce moquer de moi ! Elle dit ça, juste ... comme ça ? Crachant exactement le nom du bon internat comme si de rien n'était ? Bon, très bien, au moins, on peut dire que le mystère est levé. C'était plus facile que prévu.

... Non, attends, pas très bien du tout ! Mon dieu, j'fais quoi, moi, maintenant ?

« Et tu es dans la salle multimédia, n'est-ce pas ? »

Mes mains restent un instant en suspend au dessus de mon clavier avant d'appuyer enfin sur la touche Enter. Pour le moment je préfère ignorer sa question, tout simplement parce que je n'ai pas le courage de lui dire directement  « moi aussi, je suis à Yorokobi ». De toute façon, si elle n'est pas entrain de feindre l'ignorance alors qu'elle l'a déjà compris, elle se rendra compte bien assez vite que je vie littéralement sous le même toit qu'elle ! Dit comme ça, ça paraît vraiment dingue. D'une certaine façon, on aurait encore pû vivre longtemps '' ensemble '' sans se remarquer si je n'avais pas oublié ma clef USB dans ma chambre, aujourd'hui.  

Je dégluti difficilement. Il va falloir que je m'y fasse, j'ai une amie ( tiens, j'utilise ce mot-là, maintenant ? )en moins, et d'une façon tellement conne qu'une petite voix dans un coin de ma tête me répète que je dois être maudit. Pour quelqu'un qui, comme moi, n'en a pas beaucoup, d'amis et, pour ainsi dire, aucune relation de ce genre In Real Life c'est une grosse perte. Et ce même si j'avais depuis le début le sentiment que je n'étais pas assez bien pour fréquenter quelqu'un comme elle, même virtuellement. Je l'imagine déjà se retourner vers moi avec un air déçu, ou peut-être dégoûté ? Trahie ? Mécontente ? Désillusionnée ? Révoltée ? Découragée ?
Moi, en tout cas, je suis figé, mes jambes et mon dos sont raides comme des piquets, je n'ose pas détourné les yeux de mon écran que je fixe intensément. Mais, calmes-toi, Takuro, ce n'est qu'un mauvais moment à passer.
... Ah, oui, vraiment ? Si je me force à oublier que je vois cette fille tout les jours, peut-être !

Je sens que mon regard veut quitter la lumière hypnotisant produite par l'ordinateur pour vérifier l'identité de la demoiselle alors je ferme les paupières avec force, comme quelqu'un qui est sur le point de se prendre quelque chose dans la face et ne peut ( ou ne veut ) l'éviter. Si je confirme ce que j'ai cru voir tout à l'heure - c'est à dire qu'elle est bien cette fille qui est aussi en Art Visuel - c'est foutu je ne pourrais pas me contenter de l'éviter lorsque je la croiserais dans les couloirs.  Mais tant que j'ai encore des doutes, je peux continuer de ma rassurer en me la jouant chat de Schrödinger.

« Et tu es dans la salle multimédia, n'est-ce pas ? »

J'entre ouvre un œil et constate que Luna m'a répondu, toujours via la ChatBox. Donc, elle m'a vu ? Je sens le poids de mille regards imaginaires sur moi, tout à coup. Mon cœur bat plus vite, plus fort surtout, au point que j'ai l'impression qu'il est entrain de remonter dans ma gorge. Malheureusement pour moi, ce n'est pas la première fois que j'expérimente cette sensation pas très cool qu'est la panique. Foutue phobie sociale !

« Et si je te disais que oui ? »

Je ne prends plus aucune pause avant d'envoyer ce que je dactylographie. Est-ce que ça vaut encore la peine de reprendre des pincettes ? De faire attention ? Je me rends à peine compte que je murmure, tout bas, chaque mot que je suis entrain d'écrire.

« Ça serait inespéré, pas vrai ? Quelles seraient les chances que ça arrive ? »

Si on s'en tenait à ce que j'écris, on pourrait croire que j’accueille cette idée avec joie. Mais alors, pourquoi je ne parlerais réellement pas à voix haute ? Si c'était vrai, pourquoi je ne me serais pas levé dans le même bruit horrible de chaise, comme tout à l'heure ? Avec un beau sourire sur les lèvres, j'aurais articulé un  «  Bonjour, ça fait plaisir de te voir en vrai ! ».
Enfin, il y a déjà un petit progrès, pas vrai ? Ce n'est pas comme si mes lèvres s'étaient juste ouvertes et fermées au rythmes des lettres qui apparaissent à l'écran. Plus que de murmurer, j'ai articuler ma dernière phrase. «  Quelles seraient les chances que ça arrive. ». Ce n'était pas très fort, cependant, est-ce que la fille qui joue Luna l'a entendu ? Pas assez distinctement pour le comprendre, je pense, mais, oui, le son de ma voix à du atteindre ses oreilles. J'ai furieusement envie de Ctrl + Z dans la vrai vie. Mais bon, c'est pas aussi simple ... C'est exactement pour ça que je préfère parler avec clavier qu'avec ma voix, celle qui déraille parfois à force de ne pas être utilisée.

Je ne peux pas retenir un rire amer, ce qui m'amène à une quinte de toux comme je n'arrive toujours pas à retrouver le rythme de ma respiration. Je ne serais pas entrain de faire une crise d’hyperventilation, moi ? Mais non ! Je vais bien. J'angoisse juste un tout peu. Un tout petit peu. Mon dieu, j'ai chaud, d'un coup !

« Ça ferait bizarre, tu ne crois pas ? »

J'appuie mes deux coudes sur le bureau devant moi et j'enfuis mon visage derrière mes deux grandes mains dont le bout des longs doigts fins griffe superficiellement mon front. Je ne sais pas pourquoi j'ai dis ça, si soudainement. C'est juste sorti tout seul. Mais ... Au moins, je n'ai fais que regarder droit devant moi tout le long, en direction de mon écran. Je ... Bravo, t'as fais ta scène, t'es content, Takuro ? Maintenant, tu peux te calmer, s'il te plait ? T'as l'air encore plus dérangé que d'habitude.
Espèce.
De.
Déchet.

Cachant mes iris grises derrière mes paumes, il est évident que je ne vois toujours rien. Je me sens mal. J'essaye de ne me concentrer que sur moi et ma respiration saccadée - qui soulève mon torse si fort et irrégulièrement que quelqu'un qui entrerait à cet instant dans cette pièce aurait sûrement l'impression que je suis entrain de pleurer – dans le but de la calmer. Sur ça et seulement ça, plus du tout sur mon écran ou toute autre lumière qui éclairerait la pièce. Je me concentre même tellement que j'ai l'impression que le décor autour de moi s'évanouit, du moins, jusqu'à ce que je sente un poids se poser sur mon épaule. Je sursaute et je sens que la panique me gagne de plus belle : je n'avais pas remarquer Luna arriver vers moi.

« ... »

« Allen, je ne sais pas ce que tu as, mais ... Viens, il faut aller à l'infirmerie. » C'est ce que je viens de l'entendre dire, pourtant je ne pense pas qu'elle comprenne les sentiments qui sont entrain de me retourner l'estomac.
Il faut dire que la situation est étrange. Ce nom, qui n'est pas vraiment le mien, prononcé par une voix qui ne m'est pas familière tout en sachant que cela m'est adressé, me laisse une drôle de sensation. Mais ... La façon dont elle me parle sonne comme de la bienveillance. Ça cloche, je confonds sans doute avec de la pitié. Un instant, qu'est-ce qu'elle dit, au juste ? Qu'on doit aller ... à l'infirmerie ? J'ai l'air si mal que ça ? Je ne m'en rend presque pas compte. C'est vrai que j'dois être aussi blanc que mes cheveux et que je ne tiens pas particulièrement à rencontrer mon reflet pathétique dans un miroir. Mais ce n'est rien, je le jure. Mes poumons pèsent juste des tonnes. Ça va passer. Ça m'est déjà arrivé et je n'en suis pas mort, après tout !

Elle entreprend de m'aider à me relever en me laissant prendre appuis sur elle et c'est là que je me rend compte que de respirer comme un petit animal en fin de vie m'a fait perdre mon équilibre. Dans cette position, je suis obligé de virer mes mains de mon visage mais je n'ose pas pour autant regarder cette fille qui fait mime de s'inquièter pour moi. Non, et comme regarder l'écran bloqué sur la fenêtre de notre forum me gène, je fixe bêtement le clavier en dessous de celui-ci. Je crève d'envie de lui dire de ne pas me toucher, de me laisser là, mais je tiens ma langue. J'suis pas en position de négocier.
Alors ... Très bien, aide-moi à me relever dans ton extrême gentillesse, ainsi je pourrais sortir de cette pièce et, je ne t'en cache pas que j'en ai très envie, même si je me voyais plutôt m'enfuir jusqu'à un lieu où je pourrais être seul. Mais, s'il te plaît, ne regarde pas mon visage, d'accord ?

Cette fille ignore tout de ma prière silencieuse et comme elle m'embarque avec elle, je vois le bureau avec la précieuse machine permettant la connexion à internet s'éloigner. Que j'aie peur de croiser le regard de ma compagne d'RPG ou pas, il serait sans doute plus judicieux de regarder dans le sens inverse, histoire de voir où je vais : je ne le fais pas pour autant. Je dois être encore un peu plus bête que ce que je ne pensais. Mais après tout, ce n'est pas bien grave, puisque je me laisse guider par la marche de Luna. J'ai confiance en le chemin qu'elle prend. Ce n'est pas vraiment comme si j'avais beaucoup d'autre choix.

En sortant de la pièce – en un seul morceau, je précise - je me met à rire entre deux inspirations rauques.

« Désolé Luna. »

Je transpire et je tremble un peu par moment. Quel spectacle écœurant ! Rien que d'être en contacte physique avec elle me donne l'impression que je vais la contaminer avec une sorte d'infection imaginaire qui collerait à ma peau et mes vêtements.  La situation est de plus en plus embarrassante mais je tiens quand même à ajouter, à mis-voix, ces quelques-mots articulés à un rythme lent :

« Ce n'est pas vraiment ce qu'on s'attend à vivre quand on rencontre pour la première fois quelqu'un en vrai. »

rp à suivre à l'infirmerie.