Deux musiciens ♪♫ [Feat. Alabhaois]

Ne m'en veux pas, mais d'habitude, je n'aime pas les pianistes. C'est pas que je n'aime pas le son d'un piano, au contraire. Mais à côté de ces filles distinguées qui font danser leurs mains d'oiseaux sur les touches monochromes, vois-tu, moi avec ma vieille guitare acoustique, j'ai l'air d'un sac.

Reprenons depuis le début. J'ai rien n'a faire aujourd'hui, j'ai pas envie de bosser pour les cours et encore moins envie de réfléchir, même pas envie d'écrire la vidéo que je posterais prochainement sur Youtube, pas envie de ne rien faire non plus. Je jette un oeil à mon réveil. J'ai déjà assez flemmardé comme ça ! Pas question que je reste moisir dans le dortoir, même si j'ai pas vraiment l'impression qu'il y ait grand chose de mieux à faire dans tout l'établissement. Quoi que. Maintenant que j'y repense, l'autre jour, j'ai découvert une salle, pleine à craquer d'instruments de musique : Elle passe plutôt inaperçue, quand on n'y a pas déjà mis les pieds, mais sa présence est plutôt cool parce que, même si je me suis armé de l'une de mes guitares en venant vivre ici, il n'y a pas moyen de jouer tranquillement dans son dortoir sans ennuyer touts les voisins. Et comme je suis un pensionnaire modèl- quoi ? Bon, comme je suis presque un pensionnaire modèle, je m'en abstiens ( la plus part du temps ). En plus, là, il n'est même pas midi.  

Pourquoi se prendre la tête ? Déjà vêtu d'un simple sweatshirt et d'un jean usé, je prends mon propre instrument avec moi en jetant vite fait sa housse par dessus mon épaule et m'en vais traverser les couloirs. Je préfère jouer avec ma gratte perso', peut importe tout les instruments disponibles. A la limite, un violon, pour frimer un peu, j'dis pas, de toute façon j'ai pas le mien, des deux dont j'peux jouer, c'est pas mon instrument de prédilection. Mais j'fais pas d'infidélité au matériel que j'ai pris la peine d'embarquer à Yorokobi.  Le trajet est déjà gravé dans ma tête et mes pas sont presque automatique, j'ne regarde pas trop ce qu'il se passe autour de moi, ne laisse pas traîner mes oreilles dans les échos de conversations des autres. Toujours dans le même esprit, j'arrive à destination et ouvre la porte de la fameuse salle de musique. J'ai bien entendu du son en arrivant, mais j'y fait vraiment attention que maintenant que je l'entends plus fort parce que les murs peuvent être aussi insonorisés qu'ils veulent, la musique sort par là où je rentre : finalement, on dirait bien que c'est d'ici qu'elle vient. Ouaip'. Une musique au piano qui me dit quelque chose mais dont j'arrive pas à retrouver le titre. Je pénètre dans la pièce, pas besoin de me faire petit : la musicienne ne m'a pas remarqué du tout.

Je m'installe, dépose ma guitare, m'affale dans un coin, l'oreille attentive et entièrement caché par la mélodie. La pianiste est totalement le genre de fille qu'on imagine installée derrière un piano, toute en délicatesse, comme si elle allait se briser au moindre choc. Elle est blonde, ou châtain claire, j'sais jamais la différence, p't'être bien qu'il n'y en a même pas.

Ah, ça y est, le titre me reviens ! 'pas mon genre de prédilection, mais de toute façon je peux me vanter d'écouter de tout et ma curiosité m'avait poussé à écouter quelques concerts du genre un jour et j'étais assez facilement tombé dessus, puisque c'est l'un des morceaux les plus connus de l'artiste :

« River flows in you ! »  

Dans mon épiphanie, il a fallu que je le dise à haute voix.

Je l'ai complètement sortie de son trip, la pauvre. Elle fait une fausse note. Elle laisse tomber son piano pour venir me voir, non sans avoir montré sa surprise dans une scène digne d'un film. C'est qui, cette fille ? C'est fou ce qu'on dirait une poupée avec sa robe blanche, la tête penchée sur le côté. Toute mignonne, tout sourire, un peu mielleuse.

« Tu connais ? C'est mon morceau préféré ... » me demande-t-elle.

Ah, ouais, forcément. C'est pas comme si je m'attendais à ce qu'elle privilégie le  heavy metal dans sa playlist. C'est pour ça qu'elle le joue si bien ? Je hoche la tête et décoche un sourire un coin.

« Ça t'étonne ? »

Je braque mon regard sur elle. Elle à l'air intéressée par ma house de guitare. C'est pas très discret. Je ne m'attends qu'à ce qu'elle me pose une question au sujet de mon bien aimé instrument.

« Tu fais de la guitare ? » continue-t-elle : j'ai vu juste.
« Ouais, j'essaye. » je réponds sur l'air le plus faussement modeste au monde.

Je suis toujours avachi, je sens ma gorge me gratter alors je me l'éclaircit en toussant, mettant mon poing serré devant ma bouche. Je regarde ailleurs, le piano en faite, sans vraiment faire attention.

« Oh, je ne me suis même pas présentée ... » dit elle toute embarrassée alors que moi, je hausse les sourcils. « Je m'appelle Jessika Abyss. »
« Wow. Pas de panique, je ne suis pas flic. »

Je me redresse, ravale mon ton de plaisanterie.

« Enfin, maintenant que c'est dis ! C'est à mon tour de me présenter, je suppose ? Je m'appelles Alabhaois. »
 
Je marque une pause.
 
« Ce n'est pas très japonais comme nom, Lady Jessika. »

Alors elle est a des origines anglaises ? Je m'y attendais un peu, son nom fait anglais. Et française en plus ? Charmant. La France est un pays qui m'a toujours laissé de marbre mais ça sonne très classe comme nationalité.
Je l'écoute patiemment écorcher mon nom, moqueur. J'ai l'habitude. Et encore, elle n'a pas vu comment ça s'écrit ! « Abl ... Alba ... Alabhaois.». Elle se laisse complètement impressionner par mon accent, c'est sûr.

« Al-ha-oï-s. » je la corrige en articulant.
« Excuses-moi.»
« C'est pas grave. »

Je reste comme ça un instant, stoïque, les bras ballants. Comme j'aurais pu m'y attendre, je me rends bien compte que je la domine en hauteur.

« C'est très original ... Mais j'aime beaucoup. » se rattrape-t-elle. « Mais ce n'est pas très japonais non plus, dis-moi.»
« Parce que je suis aussi britannique. » ma réponse est presque automatique. « Je viens du pays de Galle. »

On m'a souvent demandé où ça se situait mais si elle est des origines anglaises, ça devrait m'éviter la question. Tant mieux.

« Tu essaies ? Je fais de la guitare, moi aussi. J'aimerais bien t'entendre jouer ... »
« Donc tu es pianiste et guitariste ? » je récapitule à voix haute.

Une musicienne au talent multiple donc, cette Jessika ! Je l'imagine bien moins facilement avec une guitare. Pourtant c'est commun comme instrument. Peut-être trop commun, justement. Je me demande si elle réserve d'autres " surprises " du genre ?

Tout à coup, elle a l'air troublée, comme si j'avais dis un truc qu'il n'fallait pas. Non mais, pas juste surprise, même si elle a sursauter. 'Faut pas être un grand détective pour voir que quelque chose à traverser son esprit, parce qu'elle qui avait déjà reculé de quelques pas se retourne  quand même complètement pour aller s'asseoir plus loin, là, sur une chaise.  Je ne la suis pas, elle fait ce qu'elle veut. Je hausse juste les épaules et un peu la voix pour couvrir la distance mais, pas beaucoup, heureusement que la salle est silencieuse.

« Si tu veux, je peux te faire écouter un petit aperçu de mes talents de musicien ! » je commence en mettant l'une de mes mains sur ma housse, sourire en coin. « Ça sera ta récompense si tu arrives à prononcer mon nom correctement, t'es d'accord ? »

Quinze instruments différents ? Quinze ? J'ouvre et ferme la bouche mais je reste sans voix. C'est une blague ? Elle grossit le nombre, là ? J'arrête de faire le poisson et lâche un magnifique :

« Tu plaisantes ? »
 
Si ça se trouve, j'ai juste mal compris et elle a déjà essayé de jouer d'autant d'instrument ? Et elle a dit plus. Ok, si c'est bien comme elle dit, sa vie entière doit être dédiée à la musique. Pour frimer avec ma pauvre gratte c'est mort.

« Et toi ? Guitariste, donc ? »

Je hausse les sourcils. J'imagine que mon deuxième instrument n'impressionnera pas non plus une fille comme elle. Et même sans vouloir faire mon malin, de toute façon, la guitare reste mon instrument de prédilection alors, pourquoi entrer dans les détails ?

« Ouaip. Avant tout guitariste. » je réponds distraitement.

Nous passons à autre chose. C'est comme si elle allait réciter une leçon en classe : elle se lève de la chaise sur laquelle elle était assise et moi, je tends l'oreille. Elle va bel et bien jouer le jeu et tenter de prononcer mon prénom. Et comme elle commence, elle galère. « Alab ... Alabhaois. » J'suis tellement satisfait. Quoi ? C'est pas méchant ! J'ai bien le droit de trouver ça amusant.

« ... Alabhaois. » sort-elle au bout de la troisième tentative.

Ah. Elle a trouvé le truc plus vite que prévu finalement. Je décoche un nouveau sourire, sourire avec un goût de résignation, quand même. C'est noté, je dois ne doit pas sous estimer les poupées blondes. Au moins, elle a l'air comblée par sa victoire.
 
« Félicitation ! »
« Du coup, j'ai le droit à ma récompense ? »
« Tu l'as bien méritée. » je réponds sans sérieux.
 
J'ouvre tranquillement ma housse de guitare et en sort l'instrument. La bête à mon bras, je me bouge pour rejoindre une chaise, pas loin de celle sur laquelle Jessika s'était assise et m'installe à mon tour. Je suis plutôt confiant. Je fais mon petit rituel habituel, vérifie qu'elle est accordée et me lance enfin en jouant quelques notes qui me trottent dans la tête, un rythme assez rapide que j'ai entendu je ne sais où. C'est quoi, cette chanson, déjà ? Surement un truc sortant tout droit un film.
Je pause ma paume sur les cordes, finit net ma démonstration qui n'aura pas traîné. Mais même jouer un peu, comme ça, ça me met de bonne humeur.

« Alors, j'ai satisfait votre curiosité, Miss ? »

Je regarde fixement en direction de la demoiselle.'pas désagréable à regarder.

« Tu as vécu en France ? Ou en Angleterre ?  »

Je change soudainement de sujet, je sais. Je me pause vraiment la question, peut-être qu'elle a une histoire qui ressemble à la mienne ? Ça ne serait pas la première fois que je rencontrerais une étrangère au Japon, mais dans notre cas, ça serait drôle. Parce que pour deux personnes qui ne sont vraiment pas assorties, je me rends compte que ça commencerait à faire une petite poignée de points communs.